Tout est dans le détail

Ce qu’il y a de merveilleux dans la découverte d’un nouveau tableau, ce sont les détails. Ce sont ces secrets souvent invisibles de prime abord, bien cachés sous la crasse du temps, dissimulés derrière un vernis opaque et noirci, soustraits au regard par une déchirure,  ou masqués par une déformation.

Nos yeux aguerris de restaurateurs devraient être habitués à les repérer immédiatement, à les traquer inlassablement, et à les évaluer froidement…

Et pourtant… pourtant quelle joie de se laisser surprendre, émerveiller, amadouer par la carnation subtile d’un sein soudain découvert, par le frottement aguicheur d’un jupon qu’on relève discrètement, par la texture du cuir d’une cravache délicatement ouvragée et le sourire invitant d’une femme au sommet de la sensualité.

Ce sont les cadeaux qui nous ont été faits lors de la restauration de ce tableau-ci, petit à petit, à coups de coton et de patience, tous ces petits détails qui se sont révélés pour étoffer, approfondir et nuancer le portrait de cette femme d’un autre temps, dont rien ne subsiste aujourd’hui, si ce n’est cette empreinte d’huile et de pigments, souvenir fugace d’une fraîcheur dont le parfum léger nous parvient encore.

Eglise de Veyrignac

Après plus de six mois de travaux de restauration, nous avons terminé la restauration des charmantes peintures de l’église de Veyrignac (24). Elles avaient été terminées en 1903 par le prêtre de la paroisse, H. Vidaly.

Nous avons effectué une grande campagne de refixage de la polychromie de la voûte, qui s’écaillait fortement, ainsi qu’un nettoyage avancé des élévations.

L’un des points clés de notre intervention a été la consolidation des plâtres sur lattis de la voûte, ainsi que des enduits sur les murs, qui se déplaquaient à certains endroits. Nous avons procédé en déposant minutieusement la peinture, pour ensuite renforcer les enduits par injections avant de les repositionner et de les fixer à l’aide d’étais. Cette opération délicate a permis de retrouver une planéité optimale de la polychromie ainsi que de stabiliser durablement la structure des murs.

Le fait que ces peintures aient été conçues et exécutées par le prêtre même leur donne, à mon sens, toute une autre mesure. On renoue ici avec un art sacré extrêmement vivant, auquel sont très attachés les habitants de Veyrignac, et pour la restauration duquel ils se sont longuement battus. Leur implication tout au long de la restauration ainsi que leur soutien quotidien ont permis à leur église de retrouver toute sa place au sein des Monuments Historiques de la magnifique région du Périgord Noir.

Cette restauration a été réalisée en collaboration avec les restauratrices Maud Pouliot, Crystal Salmon, Emmanuelle David, et grâce au Mandataire Marc Philippe.

Restauration de la Gare de Bordeaux Saint Jean

La restauration de la carte des Chemins de Fer du Midi qui orne le Hall 1 de la Gare Saint Jean s’est achevée après quatre mois de travaux minutieux et stimulants.

Pour cette intervention, nous avons relevé de nombreux défis dus à la nature même de la peinture. Datant de 1928, il s’agit en effet d’une des premières peintures industrielles restaurées, dont nous connaissons encore peu les compositions ainsi que la stabilité dans le temps.

Masticage des lacunes

Après presque un siècle de circulation des trains ainsi que les grands travaux entrepris dans la gare et sur la verrière ces dernières années, l’état de la peinture s’était dramatiquement dégradé (en partie à cause des vibrations du bâtiment), et présentait une perte d’adhérence généralisée. La carte, déjà lacunaire, risquait de nouvelles pertes de matière.

Toute une phase de nettoyage et de consolidation d’urgence a donc été entreprise.
Mais, outre la difficulté technique,  la restauration de la carte a aussi posé de nombreuses questions déontologiques. Il s’agit en effet d’un témoin inestimable d’une époque révolue, ainsi que des changements survenus au fil du siècle dernier sur le réseau du grand Sud-Ouest, mais plus encore sur notre mode de vie. Des lignes ont été supprimées, ajoutées, modifiées ou déviées suivant les besoins des touristes, des exportateurs de vins, des agriculteurs ou encore selon la demande en énergie des réseaux eux-mêmes. Que faisions-nous alors de toutes ces traces successives qui, parfois, créaient aujourd’hui une grande confusion visuelle ?

Exemple de ligne supprimée puis camouflée par un repeint disgracieux

Pour chaque cas, un grand dialogue s’est instauré entre les restaurateurs, la conservatrice de la DRAC et les interlocuteurs de la SNCF dévoués au projet. Cette interaction interdisciplinaire constante a permis d’essayer ensemble de respecter au mieux l’esprit historique de cette oeuvre ainsi que sa lisibilité.

 L’inauguration en présence de la direction de la SNCF, de l’adjointe au Maire de Bordeaux,  de la DRAC, des restaurateurs ainsi que de la sénatrice de la Gironde a eu lieu le vendredi 7 Février.
Ce fut l’occasion de se retrouver, et d’admirer ensemble le fruit d’un travail unique et collectif.

Cette restauration s’est faite au sein de l’atelier Arcoa

Béatrice Cenci, la belle parricide

Béatrice Cenci, Tommaso de Vivo, 1849 Rome 1,70×2,40m

A l’heure où le monde se dresse enfin contre les “féminicides”, c’est Béatrice Cenci, la belle parricide du XVIe siècle, exécutée pour s’être dressée face à la violence de son père, qui a fait son apparition à l’atelier…

Toute de blanc vêtue, elle se tient dans sa cellule à l’aube du jour de son exécution. Le Pape a refusé de lui accorder la grâce, bien qu’elle ait tenté à plusieurs reprises d’alerter les autorités papales des agressions répétées de son père sur sa mère, son frère, et elle-même. Tous trois seront condamnés pour le meurtre de leur agresseur.

Dans un coin de la prison, Guido Reni, l’un des plus grand peintre de son époque, capte dans un dernier instant un portrait de Béatrice, que sa grâce et sa beauté rendront célèbre.

Deux siècles plus tard, c’est Tommaso de Vivo, maître de l’académie de peinture de Naples, qui s’emparera du sujet pour lui rendre un hommage émouvant. Ce tableau est reconnu comme l’un de ses chef-d’œuvres et probablement la première oeuvre lui ayant permis de se démarquer.

Difficile d’apprécier les détails délicats et la finesse d’exécution à leur juste valeur quand l’oeuvre est arrivée tant le vernis oxydé et l’encrassement assombrissaient la scène. C’est au fil du nettoyage et du dévernissage que la grâce et la lumière ont pu faire leur retour dans ce coin oublié d’une prison italienne.

L’oeuvre a été entièrement démontée, consolidée et ré-aplanie. Un réseau important de craquelures recouvrait l’ensemble des 4m² de la scène, qui a nécessité de nombreuses heures de retouche. Ce fut un travail particulièrement prenant et savoureux de plonger, millimètre après millimètre, dans l’histoire de Béatrice Cenci, dans sa délicatesse, sa douceur et sa fragilité, rehaussées et sublimées par le pinceau et le talent de Tommaso de Vivo.

L’Eglise aux dragons

Une reine, trois dragons, cela vous évoque quelque chose ?

Nulle mention de trône de fer ici, c’est vers les Cieux éternels que nous invitent les Saints personnages ornant les murs de l’église abbatiale royale de L’Absie (79).

Nous venons de les restaurer, ils ont environ 500 ans et ils font face à… trois dragons.

L’image n’est pas très claire mais c’est Sainte Marguerite qui ouvre le bal lorsqu’on entre dans l’église. Vous la devinez à gauche du dragon, brandissant vers lui le crucifix avec lequel elle vient de lui percer le ventre pour s’en dégager. Un phylactère sous l’animal mis à mal le décrit comme : “Le dragon râlant”. Il y a peut être de quoi il faut dire…

 

Suit l’une des représentations les plus célèbres de L’Absie (notamment parce que l’une des seules mises à jour jusqu’à maintenant) :

“Saint Michel terrassant le dragon”

Vous pouvez voir ce dernier lever un regard pathétique vers Saint Michel, toutes ailes déployées, qui le tient fermement par les cheveux tout en le transperçant de sa lance, un pied posé sur ses reins pour l’immobiliser.

 

Le dernier, et non le moindre, est Saint Georges, qui s’élance sur son valeureux destrier pour sauver une belle princesse (dissimulée par l’échafaudage). Le dragon est à terre et avale la lance de Saint Georges qui le transperce de part en part.

 

Maintenant pourquoi tous ces dragons ? Nous sommes au XVIe siècle et l’apprentissage de la Bible se fait principalement par les images puisque non seulement la messe est en latin, mais les paroissiens ne savent de plus pas forcément lire.
Les dragons représentent symboliquement le mal, le diable, la tentation. Les montrer abattus par des Saints a donc un sens clair.
Notons cependant une petite évolution à mesure que nous avançons dans la nef : si les deux premiers dragons se font en effet terrasser, le troisième, transpercé par Saint Georges, ne meurt pas dans la légende.
Il survit, car il se repentit. Et comme symbole de sa repentance, il se métamorphose en chien fidèle qui accompagnera et protégera la princesse toute sa vie.

Il y a donc de l’espoir, de l’espoir de pardon et de transformation, et ce à mesure que nous nous rapprochons du chœur…

 

Cette restauration a été réalisée au sein de l’atelier Moulinier

Chantier insolite dans les réserves Courneuviennes

Le métier de restaurateur du patrimoine est une porte merveilleuse ouverte à tous les possibles. Le moins qu’on puisse dire est que notre histoire collective ne cesse de nous surprendre et de nous entraîner là où nous n’aurions jamais pensé atterrir.

Cette fois c’est au cœur des collections de l’ancien éco-musée de la Courneuve que nos compétences en conservation préventive nous ont menés. Nous nous sommes attelés avec une superbe équipe au recollement, à l’examen, au tri et au conditionnement d’anciens outils agricoles du siècle dernier.

Quatre mois d’intervention à farfouiller, à s’interroger et à s’extasier souvent devant l’ingéniosité des anciens agriculteurs du bassin parisien.

Parmi les pépites de la collection, nous citerons les très esthétiques cloches à salade en verre, les grands tombereaux dégingandés, ou encore les bien utiles paniers à oignons…

Ce chantier a été réalisé grâce à l’investissement sans faille des agents de la mairie de La Courneuve, ainsi que du travail acharné de Fleur Foucher et de la motivation de l’équipe pluridisciplinaire déployée sur place.

 

 

Coup de projecteur sur Notre Dame de la Daurade à Toulouse

C’est en plein coeur de la “Ville Rose” que nous intervenons actuellement à la restauration de Notre Dame de la Daurade ( du latin Daurada (dorée)… et non du poisson ! )

Il n’y a pas moins de quatre ateliers de restauration qui se partagent les tableaux monumentaux (plus de 9m de haut) du cœur et du transept, ainsi que les décors peints des murs et de la voûte. Chacun y va de sa méthode, de ses outils et de sa bonne humeur.

 

Pour nous, en ce moment, c’est le dévernissage des tableaux du cœur qui nous absorbe. Ils ont été réalisés entre 1811 et 1830 par Joseph Rocques, un peintre toulousain qui fut également le maître d’Ingres.

Le chantier avance bien, les œuvres coopèrent et les restaurateurs se régalent !
La réouverture du cœur est prévue pour Février…

 

 

 

 

Redécouverte d’un chef d’oeuvre XVIIe en Dordogne

Lors d’un passage dans le Périgord vert, nous avons pu redécouvrir le plafond de l’église de Saint-Paul Lizonne. Réalisé en 1689 par le peintre Arnaud Paradol, artiste sourd et muet de la région, il est l’un des rares ouvrages sur bois de cette ampleur ayant survécu aux siècles. La plupart des réalisations similaires ont hélas bien souvent brûlé…

La restauration de ce plafond classé Monument Historique avait pris six mois l’année passée, et nécessité de nombreuses intervention de refixage, de comblements et de réintégration colorée. Nous avions terminé en Novembre, et c’était la première fois, depuis la restauration, que nous le voyions sans échafaudages.

Un grand merci aux employés de la Mairie ainsi qu’aux habitants dévoués et enjoués de Saint-Paul Lizonne, que nous avons revus à cette occasion avec grand plaisir.

Si vous passez par là, n’hésitez pas à appeler la Mairie auparavant, ils se feront une joie de vous faire visiter cette superbe église, pour la restauration de laquelle ils se sont tant battus…